21 février 2006

La droite et le pouvoir à Aix-en-Provence

Alors qu’elle aborde le dernier tiers de son mandat à la mairie d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini peut déjà être certaine que la conquête d’un second mandat en 2008 lui vaudra une rude bataille. Son bilan à la tête de la municipalité est critiqué, à gauche comme à droite, et l’espoir d’une nouvelle unité de la droite pour les prochaines élections s’annonce compromise.

La désunion de la droite à Aix-en-Provence n’est pas un phénomène nouveau. Dans les années 1970, la droite, bien ancrée à la Mairie, avait perdu le bénéfice de sa victoire aux élections municipales pour cause de fraude électorale ; puis dans les années 1980, alors qu’elle avait reconquis le pouvoir, une déchirure interne sur fond de décision de justice (condamnation pour abus de biens sociaux de Alain Joissains, alors maire, en 1983) l’a encore fait perdre aux élections municipales de 1989. Dès lors, malgré une ville marquée politiquement, la droite est irrémédiablement touchée par des conflits d’intérêt nuisant à son image au profit d’une gauche opportuniste qui s’est toujours jouée de cette situation. Selon Jean-François Picheral (PS), dernier maire d’Aix-en-Provence, la gauche s’est constamment imposée grâce à la « médiocrité » de ses adversaires divisés.

Lors des dernières élections municipales de 2001, une union s’était dessinée à droite pour déjouer les ambitions du maire sortant, pourtant favorisé par un bilan satisfaisant. Malgré des sondages favorables (62% des Aixois estimaient que la municipalité socialiste avait effectué un bon travail lors du mandat de Jean-François Picheral), celui-ci a été rattrapé par les thèmes fédérateurs chers à la droite (insécurité, proximité, conservatisme) face à son désir d’exploiter tout le potentiel aixois, riche et moderne. Selon Jean Viard, sociologue aixois interrogé par Libération à cette occasion, la victoire de la droite était due à un discours proche de celui de l’extrême droite, basé sur « la proximité idéologique d’une droite de terrain » plutôt que sur des projets viables et crédibles. Les échéances électorales de ces dernières années ont légitimé le vote Front National dans la région et ont poussé la droite traditionnelle à se positionner sur un programme plus identitaire et proche des préoccupations sécuritaires de la population. Ce fut le cas à Aix-en-Provence, où les électeurs se sont finalement rassemblés autour de Maryse Joissains-Masini, qui a remporté le scrutin à une courte majorité. Cette thèse est confirmée par le représentant local du Front National, Gérard Beyer, qui insinue que l’actuelle maire l’a emporté uniquement grâce aux voix de ses sympathisants. Selon lui, « la ‘lepénisation’ des esprits se fait toute seule » et Aix-en-Provence n’y échappe pas.

Quelques mois auront suffit pour briser l’élan de la droite unifiée de mars 2001. François-Xavier de Peretti, pourtant 3ème adjoint à la mairie, s’est progressivement retrouvé dans l’opposition. Il affirme que l’incapacité sans laquelle il était d’imposer ses projets a provoqué son « divorce politique » d’avec l’UMP, à qui il reproche l’absence de vision pour la ville. Ses griefs sont nombreux. Il se plaint notamment des pratiques du premier magistrat de la ville visant à faire taire par tous les moyens possibles les voix qui s’élèvent contre elle. L’élu UDF rajoute qu’il faut « réinventer un projet de vie pour répondre aux problèmes de la ville » et met en avant les atouts d’Aix-en-Provence qui ne sont pas, selon lui, exploités à leur juste valeur. C’est ainsi que M. de Peretti a créé le mouvement « Union pour Aix » dans « une logique d’ouverture et d’élargissement ». Il veut rassembler tous les déçus de l’administration de la ville par Maryse Joissains-Masini, lui permettant de « ratisser le plus largement possible » autour d’un véritable projet de développement local dynamique. Les opposants à la municipalité décrient une absence d’engagement, de projets nouveaux en raison d’une situation financière délicate et un populisme exacerbé. La fracture idéologique à droite est donc toujours bien présente et la gauche pourrait bien réapparaître à nouveau au tournant pour récolter les fruits de ces divergences.

Selon Michel Pezet, candidat pour représenter le PS lors des prochaines élections municipales et soutenu par Jean-François Picheral, « la droite est divisée et le restera ». Il estime que « le bateau est secoué de toute part » et que la situation est irrattrapable. L’élu marseillais constate un « dégrisement » de la plupart des électeurs de l’actuelle maire et croit en les chances de l’opposition pour 2008. Les divergences de la gauche au niveau local ne sont pourtant pas absentes depuis les débats sur le référendum du 29 mai 2005 sur le projet de constitution européenne. Selon Laurent Perallat, trésorier des Verts à Aix-en-Provence, il y a également une division au sein de la gauche locale qui est « le reflet de la division nationale ». Ces oppositions internes troubleront-elles une gauche qui a toujours su s’unir auparavant lors des prochaines élections municipales ? Il semble que non. Tous les représentants de la gauche aixoise s’accordent pour dire que les échéances nationales de 2007 (élections présidentielles et législatives) permettront déjà d’y voir plus clair dans la ligne de conduite de leur parti respectif. Certains comme Michel Pezet sont plus confiants et déterminés que d’autres et pensent que les socialistes n’auront aucun intérêt à se diviser alors que la droite abordera probablement les élections toujours plus divisée.

Enfin, Jean-François Picheral, qui a beaucoup de respect pour François-Xavier de Peretti, verrait bien l’élu UDF se rallier finalement à l’union de la gauche en cas de second tour l’opposant à Maryse Joissains-Masini. Cette alliance inédite démontrerait une fois de plus le tourment dans lequel Aix-en-Provence, ville pourtant offerte à la droite depuis des décennies, risque de tomber dès les prochaines élections municipales. La droite a donc toujours beaucoup de travail devant elle avant d’obtenir une véritable union stable et efficace et pouvoir conserver une mairie très convoitée.

Corentin Chauvel & Alexander Paull, 14 décembre 2005

03 février 2006

Corentin journaliste

Le gaz est-il le dernier moyen restant à la Russie pour maîtriser ses anciens satellites ?

Il peut être dangereux de contester l’autorité russe, surtout au milieu d’un hiver plus rigoureux que d’habitude à l’Est de l’Europe. Les trois explosions qui ont touché, le week-end dernier, le gazoduc et une ligne électrique reliant la Russie à la Géorgie ont provoqué une nouvelle crise entre les deux pays. L’ancien satellite russe a été privé provisoirement de gaz et d’une partie de son électricité.
Il semblerait que cela soit un nouveau rebondissement dans la « guerre » du gaz qui a débuté le mois dernier entre la Russie et l’Ukraine. Ces troubles apparaissent comme bien plus sérieux qu’un conflit sur l’augmentation des prix. Les enjeux liés aux matières premières comme le pétrole ou le gaz dépassent aujourd’hui le simple cadre économique. Les pays qui ont les plus grandes réserves dans leur sol placent ainsi les autres, riches ou pauvres, dans une position de dépendance forcée et tirent les ficelles d’un jeu diplomatique très serré. Ces ressources énergétiques vitales, que l’on ne surnomme pas « or » (noir, bleu) sans raison, sont pour les Etats qui en sont abondamment pourvus une considérable source d’influence.
Le récent conflit russo-ukrainien a été l’élément déclencheur de cette guerre du gaz. Sous prétexte de vouloir augmenter les prix du gaz pour rattraper les valeurs internationales, la compagnie publique russe Gazprom a fermé les vannes d’exportation de gaz transitant par son pays voisin. Mais surtout, l’Ukraine exigeait de pouvoir continuer à se servir dans les ressources à destination de l’Europe de l’Ouest, ce que refusa catégoriquement la Russie. Moscou revint ainsi sur une habitude qu’avaient pris les Ukrainiens jusqu’alors, quand leur régime politique était encore similaire. Les nouveaux incidents, qui impliquent cette fois la Géorgie, sont semblables à la situation ukrainienne.
Gazprom avait indiqué que ses tarifs allaient croître très fortement le 1er janvier 2006, pour se placer au niveau du marché international, et avait précisé l’abandon des offres préférentielles envers toutes les ex-républiques Soviétiques. Les conséquences devaient donc être les mêmes pour tous, alliés de la Fédération russe ou non. Cette décision ne touche cependant pas tous les pays concernés de la même façon. Quand l’Arménie se voit adjuger un délai de mise en vigueur de cette hausse des prix, la Géorgie, principale victime des explosions de dimanche, voit Gazprom lui proposer des solutions désavantageuses, sous forme de « crédits pour le paiement du gaz en échange du rachat de leurs réseaux de gazoducs ou d'installations électriques », tout cela sans délai. Erevan, touchée de la même manière par la coupure qu’a subi son voisin géorgien, est également soumise à ces contraintes, mais sa docilité face au Kremlin devrait lui permettre d’être moins pénalisée. Néanmoins, ce n’est pas tant l’augmentation de la facture du gaz qui a irrité Tbilissi, que la soumission de Moscou aux pays d’Europe occidentale. En effet, la Russie fournit de manière continue ses clients importants, et ce malgré la pénurie en ressources énergétiques qu’elle connaît à l’heure actuelle. Le président géorgien M. Saakachvili s’est insurgé contre ce mépris, accusant son voisin d’avoir perpétré ces « sabotages » en vue d’affaiblir la Géorgie dans un moment critique.
Les analyses considérant que le Kremlin a voulu, par l’intermédiaire de ces derniers évènements, punir ces anciens pays sous tutelle russe pour leurs révolutions démocratiques et leurs destinées désormais pro-occidentales, foisonnent. On pense déjà au retour d’un certain impérialisme de l’ancien bloc soviétique. Tous les anciens satellites russes passés dans le camp démocratique s’apprêtent à subir les nouvelles tarifications du gaz et ainsi payer les conséquences de leur revirement politique. En plus de l’Ukraine et de la Géorgie, les Etats Baltes, la Moldavie ou le Turkménistan dépendent toujours fortement de leur voisin russe et le soutien des Occidentaux n’y peut rien.
Depuis que Vladimir Poutine a repris les rênes des grandes entreprises russes en renvoyant les oligarques, la Russie voudrait se réaffirmer sur l’échiquier mondial en imposant des contraintes à sa sphère d’influence et jusque dans l’inquiète Union Européenne. C’est dans cette stratégie à long terme qu’elle utiliserait désormais la menace que sont devenues les matières premières, comme le font la plupart des pays arabes avec le pétrole. L’enjeu pour les Occidentaux réside désormais dans la manière dont ils se sortiront de cette dépendance énergétique qui est d’ores et déjà le mal de ce nouveau siècle. Après les différentes crises de l’or noir, c’est l’or bleu qui pourrait faire trembler les puissants, avertis par ces événements qui ne sont que les premiers signaux d’un conflit de plus grande envergure.
Corentin Chauvel 27 janvier 2006