25 décembre 2005

Après...


Il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnez musettes !
Cette fois encore, il n'a pas fait faux bond.
Chantons tous son avènement. J'aurais dû aller à la messe de Minuit, mais avec ces manières païennes de se mettre à table à vingt heures, on ne sait plus ce qu'est un réveillon. Banalisé, sécularisé, Noël. Franchement, une douzaines d'huîtres avec un Muscadet bien frais vers deux heures du matin, c'était autre chose...
Bon, allez en paix, et que le Sauveur vous sauve, si c'est encore possible !

24 décembre 2005

Avent



Celui qui doit venir n'est pas né. Sa petite couche immaculée est toute vide. Le Père Joseph, qui n'y est pour rien, se prend pour un Autre. La Vierge Marie est en plein travail. Et nous, les bergers, les porteurs d'eau, les ravis, les pêcheurs, les chercheurs, les saltimbanques, les sorciers et les rebouteux, une étoile nous a dit, et nous nous sommes mis en marche.
Y a-t-il encore une étoile à suivre en ce monde globalisé ?
Chaque naissance est un espoir...
JOYEUX NOËL !!!

19 décembre 2005

Alger la Blanche



Vingt ans déjà depuis ces quelques jours passés à Annaba chez Tahar et Najibah, en l’honneur d’un magnifique Nicolet Pathfinder flambant neuf, qui trônait sous un linceul blanc au centre d’une vaste pièce fraîche badigeonnée à la chaux, un peu à l’écart des salles communes où des dizaines de malades gisaient, esseulés, tant les infirmières, calmes, et les médecins, rares, semblaient confrontés à une tâche démesurée. Un hôtel pour étrangers, isolé lui aussi, avec un restaurant sévère au dernier étage, réchauffé au soleil couchant par le rosé de Tlemcen ou le rouge de Mascara, en provenance directe de la coopérative « Algérie » en lettres rouges. Mais un accueil chaleureux dans la famille Mosbah, avec une fatma ravie de garder le petit Corentin, cela lui rappelait le temps où elle travaillait pour les français… Pas de marques, mais une seule par article dans un magasin très socialiste, façon Europe de l’Est (cette comparaison, je l’ai faite un peu plus tard), cela facilitait le choix et ne travestissait pas le goût derrière d’inutiles parures aguicheuses ou bariolées. Ce beau pays semblait un peu triste, c’était du temps du Président Chadli, pâle successeur du grand Houari Boumedienne, qui drapé de noir était un ascète. En revanche, quel luxe pour la jeune mère française de promener son bambin joufflu et parisien le long d’une belle corniche plantée de jeunes palmiers au bord d’une Méditerranée vierge, pure et sans aucun reflet bétonné. Déserte la corniche, mais la jeune mère s’inquiétait d’attirer le regard de quelques passants nonchalants, qui contemplaient la mer. Méditerranéenne, elle n’était pas encore. Admirée, en saisissait-elle le prix ? Un voyage mémorable à Constantine, ville perchée comme une île au milieu des plateaux arides, entourée de gorges, dont les seuls impressionnants accès se faisaient par des ponts métalliques jetés par Eiffel et ses émules quelques années auparavant. Le déjeuner fut grandiose chez la sœur de Najibah : je me délectais des joues détachées d’un doigt à même la tête tenue à pleines mains d’un mouton qui me laissait faire d’un regard éteint, tandis que la jeune mère me fixait, incrédule, d’un air réprobateur qui déclencha une certaine hilarité… Tahar s’en souvient encore.
Corentin a grandi avec la nostalgie de l’Algérie, il a toujours adoré les barbecues depuis celui de la forêt d’Annaba, et depuis il ne rêve que de voyages au delà des mers.
Mon cher Tahar, si tu savais ce que tu as réveillé en moi quand, de passage à Marseille au printemps dernier, tu m’as proposé de venir à Alger en décembre pour le Congrès Maghrébin de Neurologie… Le désir de te revoir dans ton pays, mais aussi l’ardeur de confronter enfin les souvenirs de mon histoire de français, pas celle des livres que j’ai oubliée, mais celle du poste de radio de la salle à manger de la rue de Montfort, des photos noir et blanc de Paris Match, des retours de mon oncle Jacques, et des récits de ceux qui y avaient passé leur vie, leurs vies (celles de leurs parents), et qui avaient dû quitter, se séparer définitivement de leur jeunesse un beau jour des années 60, de confronter cet imaginaire (qui pour moi n’avait aucune attache, sinon des paroles chargées d’émotions) à une réalité physique. Mais oui, Alger la ville existe-t-elle toujours derrière Alger la prise, Alger la bataille, Alger-qui-dit-ceci-ou-cela ? Peut-on (re)voir Alger la Blanche sans se sentir affublé de la culpabilité collective qui nous entache tous sans y avoir mis les pieds ? Je réalise que les enfants d’après-guerre, de métropole comme on disait, ont été aussi marqués par l’Algérie. J’avais quatorze ans en 62, mais les quatre années précédentes avaient vu émerger ma première analyse consciente de la politique. Plus exactement, je comprends pourquoi ma génération est celle de la défiance envers le politique. Le discours de De Gaulle, remarquable dans sa forme (nous étions encore latinistes en ce temps-là et sensibles aux périodes), était totalement incohérent dans son fil. Je me souviens, nous nous amusions entre potaches à surprendre comment il allait se contredire à la prochaine « déclaration » ou mieux au grand spectacle de la conférence de presse. Du grand art. Mais seulement de l’art. Ce n’est pas un hasard si nous le lui avons fait payer en 68. Il croyait rouler dans la farine les notables de la IVème République, mais il avait surtout pris les enfants de 48 pour des ânes. C’est curieux comme cela réveille en moi tant d’agressivité, mais comme il est humiliant d’avoir été trompé par son grand-père entre dix et quatorze ans. C’était une affaire d’honnêteté intellectuelle (ce mot avait du sens). Impardonnable.
D’où la culpabilité partagée, collective, même si nous n’avions jamais mis les pieds en Algérie. Un Oedipe à deux étages. Le père est silencieux (il a perdu la guerre), il faut tuer le grand-père. Et la mère ? Alba Mater...
Alger la Blanche... Etait-ce l’expression des « français d’Algérie » ? Elle était restée mystérieuse au fond, alors que Rabat, Fès, Meknès, Marrakech, Annaba sont des villes arabes, même si elles ont vu et voient encore des hordes de touristes en troupeaux ou des nouveaux conquérants qui les restaurent ou les dénaturent...
Marseille-Alger, plus rapide et moins encombrée que Marseille-Paris, la traversée de « notre Mer ». A l’arrivée, personne. Suis-je arrivé trop tôt ? Il faut faire 200 mètres hors de l’aéroport pour aborder la foule de ceux qui attendent, parqués derrière des barrières de sécurité. Mon nom en grosses lettres, avec Sanofi à côté, je suis rassuré, mes anges gardiens sont là. Même scénario qu’à Londres, Milan ou Tokyo, mais la voiture est plus modeste, et le chauffeur pas très bavard, la route est un peu défoncée, pas trop, il y a un bout d’autoroute, beaucoup de cités en construction, puis des quartiers pauvres, les mêmes policiers en bleu pétrole qu’il y a vingt ans, beaucoup de monde des petites boutiques, des gens qui attendent un bus qui ne viendra pas, mais d’emblée une première impression, qui vérifie ce que m’avait dit Jean P., c’est plus propre que Marseille ! Il fait plus chaud, j’avais gardé mon pull en cachtruc, et il n’y a pas de clim... Puis des grands échangeurs, on arrive en ville, rien qui évoque les photos de mon enfance, et tout-à-coup surgissent de grands bâtiments blanc ou crème, au milieu de chantiers, puis le grand parc, le jardin botanique, je reconnais, et derrière le Sofitel, ouf ! Barrage, un porche maure, arrêt, fouille, le flic bleu ouvre tout, le moteur et le coffre, c’est la condition pour pénétrer dans la cour intérieure, on se méfie des voitures qui approchent des Sofitels... Après, c’est comme partout, l’accueil sourire, check-in classique mais en français, çà fait bizarre, je me suis adressé en anglais, pourquoi ? La mondialisation, bof ! On se sent chez soi, enfin dans ce grand nulle part, même s’il est déguisé en patio pseudo-arabe, c’est comme à Ryad ou à Los Angeles. Ils ont fait vite, on croyait qu’ils avaient du retard, ben non c’est Algiers. Belle chambre, je suis bien reçu, Roger & Gallet, peignoir, chaussons blancs carton-tissu, un shampoing, un bath gel, un body lotion, déjà deux que je ramène à Catherine, la télé j’allume, je zappe, tiens TF1, F2, F3, M6, etc... çà doit être juste pour moi, c’est délicat. Fermée, la fenêtre, 8ème étage, vue sur le jardin d’Essai, le plus beau des jardins botaniques de ce continent, je l’ai lu dans le guide avant de partir chez Arcadia, je ne l’ai pas acheté car c’était trop cher pour toute l’Algérie alors que je ne « faisais » qu’Alger. Au large du jardin d’eucalyptus, de palmiers et de palétuviers, la mer, la mienne, une grande plage vide que borde une autoroute surchargée, pas de klaxons, l’isolation est parfaite. Il est deux heures, j’ai mangé trois fois, je vais faire la sieste, luxe des luxes, la sieste un mercredi, s’ils me voyaient... Zut, une petite pensée perverse, mon topo, c’est demain à midi, il n’est pas vraiment prêt, il est trop long comme d’habitude, je vais le raccourcir dans la dernière ligne droite comme d’habitude, me mettre un peu en danger, profiter du grand lit moelleux, vlouf ! Drrriingg... ! Tahar ! Tu as fait bon voyage ? Excellent. Nous t’attendons en bas pour déjeuner...formidable, j’arrive ! Je m’autorise deux ou trois roulades prudentes sur le grand lit plein d’oreillers, juste pour goûter, et je me relève droit comme un i, Chauvel, tu es en mission, carte magnétique, poche de droite, ascenseur vitré, musique pseudo-égyptienne de Khartoum, ding. Tahar, il ne change pas, c’est quelquefois un avantage de garder ses cheveux, et bruns en plus, avec trois poils blancs, oui mais dans dix ans ? Après la présentation au comité organisateur des trois nations, comme il n’y a plus de place, nous trouvons une petite table sympa pour deux, et nous papotons comme hier, je retrouve mon frère, nous nous racontons des histoires de famille, les (leurs) années noires nous ont tenu à l’écart, mais il n’y a rien à en dire, c’est comme avant, les enfants ont grandi, il y en a même qui n’existaient pas, et pas des moindres... Du temps à rattraper, dis, combien de temps dois-je parler demain ? Tu n’y penses pas, qui oserait t’arrêter ? Si, il le faut, c’est plus prudent. Il fait partie du grand comité, il doit visiter les choses matérielles, bon je ne t’accompagne pas, je vais préparer mon topo, vlouf ! Pas de vlouf, quand je prépare un topo, je me prends au sérieux, même quand je me suis juré que cette fois, je ne vais passer du temps à, etc...je retrouve trop de trésors cachés au fond de mon petit Dell pour me dérouter, me surprendre, voir les choses sous un autre angle, me stresser juste un peu. J’y ai passé trois heures, j’ai failli être en retard au dîner, j’ai tout refait de fond en comble, toujours à cause d’elle, j’ai retrouvé ses ba-pa, ses zouip, ses narines qui portent des bébés, enfin de quoi démontrer que la chirurgie de l’épilepsie a un rapport avec le cerveau, ce qui bizarrement est totalement faux.
Long trajet en autobus, çà commence toujours comme çà. Dîner à l’hôtel aurait été trop simple, il faut se rendre de l’autre côté d’Alger, dans un restaurant situé dans un ancien vignoble colonial (colonial ?). Oh, Alger la nuit en autobus, des arcades blanches, des immeubles hausmanniens blancs, tiens, cela me rappelle l’Italie ? Une forêt, un petit restau avec une grande tonnelle, il fait un peu moins chaud, nous entrons dans une salle de campagne avec des cadres kitsch au mur. Apéros, on m’offre un vin primeur « Algérie », oui, mais du Médéa, c’est la région où Tonton Jacques était médiateur, je bois ce verre en pensant à lui. Il a vraiment aimé l’Algérie, lui qui n’avait rien à y posséder, et qui n’a jamais aimé faire la guerre, juste l’inverse, rencontrer les gens, faire les choses simples de la vie avec eux.
C’est justement dans cet état d’esprit qu’ils me sont apparus les Algériens d’aujourd’hui. Faisons des projets ensemble, dans le domaine de nos compétences professionnelles. Le calme, fragile, permet d’avancer, la langue commune facilite les échanges, et véhicule la culture commune.
Alger est passionnante à découvrir. En dehors des grands hôtels internationaux, j’y ai été frappé de deux impressions assez tranchées. La première, c’est la ville de nos mémoires, autour du port. Magnifique, blanche en effet, des copies de Paris et de Marseille au XIXème siècle, mais blanches avec des volets bleus, de grandes places rectangulaires, et une végétation de notre bassin méditerranéen y perçant de square en avenue. La Faculté de Médecine, un paradis. On en peut s’empêcher de penser à l’effervescence de sa vie intellectuelle et populaire au temps où Albert Camus et Jules Roy y déambulaient. J’avais apporté un peu de Camus avec moi, comme un viatique, et je crois le comprendre un peu mieux à présent. La seconde, c’est le mode de vie au bord de l’eau, les madragues et les restaurants de poisson où l’on vient se retrouver le dimanche midi en famille, comme à Marseille. Le petit port d’El Djamila, où j’ai dégusté de fameux rougets ce vendredi midi, c’était les Goudes, exactement. Jamais je ne me suis senti autant méditerranéen... Entre le Centre majestueux et ces madragues, le quartier de Bab-El-Oued, là c’est Endoume ou Vauban, mais le grand avantage c’est que le stade de foot est juste au bord de la mer. Enfin, la Bonne Mère, c’est Notre Dame d’Afrique, qui surplombe la ville de l’Ouest. La messe était en arabe, et l’on pouvait lire de grandes lettres frappées sur une luxuriante mosaïque cernant la coupole de la nef centrale « Notre Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les Musulmans ! ».
Alger m’a touché, elle arbore un passé qu’elle n’a pas défiguré, sa jeunesse porte fièrement et librement un avenir qui devrait nous inspirer, nous qui sommes empêtrés dans nos radotages, engoncés dans nos forteresses et paralysés par nos peurs de nantis moyens.
Certainement j’y reviendrai bientôt.

05 décembre 2005

Maison avec vue


C'est un pays qui ressemble à la Dordogne, mais en Provence. Sainte-Croix-à-Lauze, c'est un village coincé dans le fond d'un petit vallon, un vrai village avec des gens qui ne vivent pas du tourisme. La preuve que c'est un vrai village réside dans le fait, déjà observé en Dordogne, que le Maire s'y est fait construire une maison neuve et laide, voyante de surcroît, et que ses concurrents les plus sérieux rivalisent aussi avec lui dans l'arrogance du parpaing prétentieux. A côté de cela, il y a un joli bourg fait de vieilles bâtisses en pierres, avec des murs épais, habitées par une anglaise, un américain, et quelques belges. Nous avions loué de telles maisons plusieurs fois, celle de Jacqueline, puis celle de Françoise, qui elles sont de Marseille. Nous avions passé là l'été de la canicule avec Florian. Ce fut un moment très heureux, d'être avec Florian d'abord, mais aussi de partir en balade après 18 heures. Chaque soir, nous allions visiter un village différent. Il y a peu de maisons isolées, dans ce pays sauvage qu'aimait Jean Giono. L'habitat est fait de villages perchés aux rues étroites, pour avoir frais l'été et moins froid l'hiver. Chacun de nous avait son préféré, ou plutôt ses préférés, il y en a plus de 200 dans cette région. Sainte-Croix est proche de Vachères, d'où on prend la route de Banon, de là on revient par Simiane-la-Rotonde, Oppedette et Viens. Les couleurs de ce pays de Haute-Provence sont aussi étonnantes en hiver qu'en été, la lavande en fleur rend les vallées plus bleues que le ciel en été et c'est l'inverse en hiver. Trois montagnes majestueuses encadrent ce morceau de paradis: la montagne de Lure et le mont Ventoux au Nord, la montagne du Luberon au Sud. Les trois sont plus larges que hautes, ce sont de vraies montagnes qui se tiennent bien: l'une est bleue avec un chapeau beige, l'autre a le crâne blanc et le ventre vert, la troisième est bleu sombre et noire.
Qui ne souhaiterait s'y poser ? Que nous cherchions ici la maison de nos rêves n'étonnera personne. Nous l'avons trouvée hier, et nous en sommes tellement stupéfaits que nous hésitons à faire le pas. Nous achoppons sur des détails. Catherine s'inquiète parce que c'est une vraie maison provençale, alimentée par une source. Dites, quand vous êtes là-bas, enfin seuls, vous souhaiteriez être relié à la Lyonnaise des Eaux ? Quelle drôle d'idée ! Quant à moi, je me demande si je vais me réhabituer au rythme des saisons (mon bougainvillée a perdu quelques feuilles cette semaine, mais pas encore ses fleurs), et surtout si je vais pouvoir désormais me passer des grèves ? Marcher est devenu une drogue.
Je viens de terminer un livre magnifique, "Loin de Chandigarh" de Tarun Tejpal. Une histoire de blog à l'ancienne dans l'Inde de la première moitié du XXème siècle... Un conteur d'histoires qui finit par comprendre ce qu'est l'amour, et ce que sont les histoires.
"Je soupçonnai pour la première fois que l'histoire était toujours plus importante que le conteur. Ce n'était pas le conteur qui insufflait de la vie dans le récit, mais le récit qui maintenait le narrateur en vie."